miércoles, 20 de enero de 2010

La lettre.


Lettre de Pierre Guglielmina à Philippe Sollers. L'infin, n° 84, automne 2003, Page 49.

Cher Philippe Sollers.
Le jour de la mort de Maurice Blanchot, je reçois, envoyé de New York par une amie allemande, ce petit texte de 1941 (inédit en France) de Jack Kerouac. Comme rien de ce qui m'arrive n'est le fruit du hasard, ces temps-ci, je me demande si c'est afin de m'apprendre que les derniers mots de Blanchot ont été pour Kerouac ou bien de me transmettre la prière de Kerouac pour la paix de l'âme de Blanchot. Le "credo" en question, hélas, n'est guère blanchotien. Je vous le traduis. C'est mon hommage à ...Blanchot.
Bien amicalement,
Pierre Guglielmina.

Souviens-toi par-dessus tout, Petit, qu'écrire n'est pas
difficile, n'est pas douloureux, que ça jaillit de toi
avec aisance, que tu peux balancer une petite histoire à toute
vitesse, que lorsque tu le fais ouvertement, lorsque
tu veux imprimer une vérité, ce n'est pas difficile,
pas douloureux, mais facile, plein de grâce, saturé d'une douce
puissance, comme si tu étais un clavier doté d'un stock
de littérature illimité, énorme, infini
et riche. Parce que c'est vrai ; parce que c'est ainsi. Ne l'oublie pas
dans tes moments plus sombres. Fais chauffer ton truc,
touche juste, à l'américaine, tu te fous des critiques, tu te
fous des thèses universitaires mortelles des professeurs, ils ne
savent pas de quoi ils parlent, ils sont à
côté de la plaque, ils sont froids ; tu es chaud, tu es
bouillant, tu peux écrire à longueur de journée, tu sais ce que
tu sais ; souviens-toi de ça, Petit, et quand
tu as l'impression de ne plus pouvoir écrire, que ça ne sert
plus à rien, que la vie ne vaut rien, relis ça et
comprends que tu peux faire beaucoup de bien dans ce
monde en révélant des vérités de ce genre, en répandant
la chaleur, en essayant de prêcher la vie pour le bien de la vie,
pas à la façon des intellectuels, mais à la façon chaude, à la façon
de l'amour, à la façon qui dit : Mes frères, je vous accueille à
bras ouverts, j'accepte vos faiblesses, je vous offre
les miennes, accordons-nous et jouons toute la gamme
de la riche existence humaine. Souviens-toi , Petit ; l'aisance, la
grâce, la gloire, la grandeur de ton art ; souviens -toi
de ça, n'oublie jamais. Souviens-toi de la passion. N'oublie pas,
n'abandonne pas, ne néglige pas. C'est là,
l'ordre et le dessein ; le chaos est là, mais pas en
toi, pas au plus profond de ton coeur, pas de chaos,
seulement l'aisance, la grâce, la beauté, l'amour, la grandeur...Petit,
tu peux balancer une petite histoire, une petite vérité, tu peux
balayer le plancher avec une petite histoire à toute vitesse ; c'est
du gâteau, tu es un flot de douce puissance froufroutante,
tu es un écrivain, et tu peux révéler quelques trucs bien
méchants, et tu vas en révéler des tonnes, parce que
c'est toi, et ne l'oublie pas, Petit, ne l'oublie pas ;
s'il te plaît, s'il te plaît, Petit, ne t'oublie pas ; sauve-le,
sauve-le, préserve-toi ; révèle toutes
ces sales petites histoires méchantes par douzaines, c'est facile,
c'est la grâce, c'est à l'américaine, c'est la touche juste,
vends la vérité, car elle a besoin d'être vendue. Souviens-toi, Petit,
de ce que je te dis cette nuit ; ne l'oublie jamais, lis-le
sans cesse dans tes moments plus sombres et jamais, jamais
n'oublie... jamais, jamais, jamais n'oublie... S'il te plaît,
s'il te plaît, Petit, s'il te plaît...
Jack Kerouak.

No hay comentarios: